POEMES SUR LE JOUR
A l'aube, à midi et au soir...
35. Un lever de soleil
(Alphonse Lamartine)
L'Orient jaillit comme un fleuve, La lumière coule à long flot, La terre lui sourit et le ciel s'en abreuve Et de ces cieux vieillis, l'aube sort aussi neuve Que l'aurore du jour, qui sortit du Très Haut. |
Et des pleurs de la nuit, le sillon boit la
pluie, Et les lèvres de fleurs distillent leur encens, Et d'un sein plus léger l'homme aspire à la vie Quand un esprit divin vient englober ses sens. |
Notre terre éblouie du rayon qui la dore,
Nage plus mollement dans l'élastique éther, Comme un léger nuage enlevé par l'aurore Plane avec majesté sur les vagues de l'air. |
Les pointes des forêts que les brises
agitent, Bercent l'ombre et la fraîcheur pour le choeur des oiseaux ; Et le souffle léger des ondes pures qui palpitent Parfume en s'exhalant le lit voilé des eaux. |
Celui qui sait d'où vient l'aurore qui
se lève, Ouvre ses yeux noyés d'allégresse et d'amour, Il reprend son fardeau que la vertu soulève S'élance, et dit " Marchons à la clarté du jour ! " |
(Harmonies poétiques II)
36. M I D I - (Leconte de Lisle 1818 - 1894)
Midi, roi des étés, épandu
sur la plaine, Tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu Tout se tait. L'air flamboie et brûle sans haleine ; La terre est assoupie en sa robe de feu. |
L'étendue est immense et les champs n'ont
point d'ombre, Et la source est tarie où buvaient les troupeaux : La lointaine forêt dont la lisière est sombre, Dort là-bas, immobile, en un pesant repos. |
Seuls les grands blés mûris, tels
qu'une mer dorée, Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ; Pacifiques enfants de la terre sacrée, Ils épuisent sans peur la coupe du soleil. |
Parfois, comme un soupir de leur âme
brûlante, Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux, Une ondulation majestueuse et lente S'éveille et vient mourir à l'horizon poudreux. |
Non loin quelques boeufs blancs couchés
parmi les herbes Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais, Et suivent de leurs yeux languissants et superbes Le songe intérieur qu'ils n'achèvent jamais. |
Homme si le coeur plein de joie ou d'amertume,
Tu passais vers midi dans les champs radieux, Fuis ! la nature est vide et le soleil consume : Rien n'est vivant ici, rien n'est triste ou joyeux. |
Mais si désabusé des larmes et
du rire, Altéré de l'oubli de ce monde agité, Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire, Goûter une suprême et morne volupté. |
Viens le soleil te parle en parole sublimes
; Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin ; Et retourne à pas lent vers les cités infimes, Le coeur trempé sept fois dans le néant divin. |
(Poèmes antiques)
Le Champ de blé jaune de Van Gogh - Coll. part. Zurich
37. SAISON DES SEMAILLES, LE SOIR (Victor Hugo)
C'est le moment crépusculaire J'admire, assis sous un portail, Ce reste de jour dont s'éclaire La dernière heure de travail. |
Dans les terres de nuit baignées, Je contemple, ému, les haillons D'un vieillard qui jette à poignées La moisson future aux sillons. |
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Sa haute silhouette noire Domine les profonds labours, On sent à quel point il doit croire A la fuite utile des jours, |
Il marche dans la plaine immense, Va, vient, lance la graine au loin Rouvre sa main et recommence, Et je médite, obscur témoin, |
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(La chanson des rues et des bois)
38. LORSQUE LA LUNE SE LEVE (Leconte de Lisle)
Sur la pente des monts les brises apaisées
Inclinent au sommeil les arbres onduleux L'oiseau silencieux s'endort dans les rosées, Et l'étoile a doré l'écume des flots bleus. |
Au contour des ravins, sur les hauteurs sauvages,
Une molle vapeur efface les chemins, La lune tristement baigne les noirs feuillages, L'oreille n'entend plus les murmures humains |
Mais sur le sable au loin chante la mer divine,
Et des hautes forêts gémit la grande voix, Et l'air sonore, aux cieux que la nuit illumine, Porte le chant des mers et le soupir des bois. |
Montez, saintes rumeurs, paroles surhumaines,
Entretien lent et doux de la terre et du ciel ! Montez, et demandez aux étoiles sereines S'il est pour les atteindre un chemin éternel ? |
O mers, ô bois songeurs, voix pieuses
du monde, Vous m'avez répondu durant mes jours mauvais ; Vous avez apaisé ma tristesse inféconde, |
(Nox - Poèmes antiques)
39. HARMONIES DU SOIR - (Charles Baudelaire)
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ... Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir, Valse mélancolique et langoureux vertige ! |
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir, Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige, Valse mélancolique et langoureux vertige ! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir. |
Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige, Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir ! Le ciel est triste et beau comme un grands reposoir , Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige. |
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir ! Du passé lumineux recueille tout vestige ! Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige. Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir ! |
(Les Fleurs du mal)
40. A l'étoile du berger - (Alfred de Musset)
Pâle Etoile du soir, messagère
lointaine, Dont le front sort brillant des voiles du couchant, De ton palais d'azur, au sein du firmament, Que regardes-tu dans la plaine ? |
Que cherches-tu sur la terre endormie ? Mais déjà sur les Monts, je te vois t'abaisser ; Tu fuis en souriant, mélancolique amie Etoile qui descend sur la verte colline, Et ton tremblant regard est près de s'effacer. |
Triste larme d'argent du manteau de la nuit
Toi que regarde au loin le pâtre qui chemine, Tandis que pas à pas son long troupeau le suit. |
Etoile où t'en vas-tu dans cette nuit
immense ? Cherches-tu sur la rive un lit dans les roseaux ? Où t'en vas-tu si belle, à l'heure du silence Tomber comme un perle, au sein profond des eaux ? |
Ah ! si tu dois mourir, bel astre, et si ma
tête Va dans la vaste mer plonger ses blonds cheveux, Avant de nous quitter, un seul instant arrête : Etoile de l'amour, ne descends pas des cieux ! |
(Le saule - fragment)
Un clair de lune sur un sommet alpin...
41. Le soir, au clair de lune (Albert Samain 1859-1900)
Le ciel comme un lac d'or pâle
s'évanouit, On dirait que la plaine, au loin déserte, pense Et dans l'air élargi de vide et de silence, S'épanche la grande âme de la nuit. |
Pendant que çà et là brillent
d'humbles lumières, Les grands boeufs accouplés rentrent par les chemins, Et les vieux en bonnet, le menton sur les mains, Respirent le soir calme aux portes des chaumières. |
Le paysage, où tinte une cloche est plaintif
Et simple comme un doux tableau de primitif Où le Bon Pasteur porte l'agneau blanc sur l'épaule. |
Les astres au ciel noir commencent à
neiger, Et là-bas, immobile au sommet de la côte Rêve la silhouette antique d'un berger. |
Vers l'Occident, là-bas, le ciel est
tout en or, Le long des prés déserts où le sentier dévale La pénétrante odeur des foins coupés s'exhale, Quand vient l'heure émouvante où toute la terre s'endort ! |
La faux des moissonneurs a passé sur
les terres, Les repos succède aux travaux des longs jours, Parfois une charrue, oubliée des labours, Sort comme un bras levé, des sillons solitaires. |
La nuit à l'Orient verse sa cendre fine,
Seule au couchant s'attarde une barre de feu ; Et dans l'obscurité qui s'accroît peu à peu La blancheur de la route à peine se devine. |
En jeune veuve éplorée, la terre
pleure son défunt Comme pour le remplacer à l'horizon s'élève Une lumière de lune, toute pâle et si légère, |
Dans l'ombre et les parfums Superbe fille de Ré, Tu viens nous éclairer. |
(extraits du chariot d'or)