POEMES SUR LE MONDE DU SPIRITUEL

 

 
58.  Le Maître que j'adore  (Alphonse Lamartine)

 

Et j'ai dit mon coeur : que faire de la vie ?
Irais-je encore, suivant ceux qui m'ont devancé
Comme l'agneau qui passe où sa mère a passé
Imiter des mortels : l'immortelle folie ?

 
Le paresseux s'endort dans les bras de la faim ;
Le laboureur conduit sa fertile charrue ;
Le savant pense et lit, le guerrier frappe et tue ;
Le mendiant s'assied sur les bords du chemin.

 
Où vont-ils cependant ? ils vont où va la feuille,
Que chasse devant lui le souffle des hivers,
Ainsi vont se flétrir dans leur travaux divers
Ces générations que le temps sème et cueille !

 
Ils luttaient contre lui, mais le temps a vaincu ;
Comme un fleuve engloutit le sable de ses rives,
Je l'ai vu dévorer leurs ombres fugitives.
Ils sont nés, ils sont morts : Seigneur, ont-ils vécus ?

 
Pour moi, je chanterai le Maître que j'adore,
Dans le bruit des cités, dans la paix des déserts,
Couché sur le rivage ou flottants sur les mers,
Au déclin du soleil, au réveil de l'aurore.

 
La terre m'a crié : Qui est donc le Seigneur ?
Celui dont l'âme immense est partout répandue,
Celui dont un seul pas mesure l'étendue,
Celui dont le soleil emprunte sa splendeur ;

 
Celui qui du néant a tiré la matière,
Celui qui sur le vide a fondé l'univers,
Celui qui sans rivage a renfermé les mers,
Celui qui d'un regard a lancé la lumière ;

 
Celui qui ne connaît ni jour, ni lendemain,
Celui qui de tout temps de soi-même s'enfante,
Qui vit dans l'avenir comme à l'heure présente
Et rappelle les temps échappés de sa main :

 
C'est lui ! c'est le Seigneur : que ma langue redise
Les cent noms de sa gloire aux enfants des mortels,
Comme la harpe d'or suspendue à l'autel,
Je chanterai pour lui, jusqu'à ce qu'il me brise...

(Stances - Nouvelles Méditations)

 
 
La rencontre de deux Mondes

 

59.  LE COUVENT - (Georges Rodenbach 1855-1898) 

 

I.

En fines lettres d'or chaque nom des couvents
Sur les portes s'enroule, autour de banderoles,
Noms charmants chuchotés par la lèvre des vents ;
La maison de l'amour, la maison des Corolles,

 

Oh! le silence heureux de l'ouvroir aux grands murs,
Où l'on entend à peine un bruit de banc qui bouge,
Tandis qu'elles sont là, suivant de leurs yeux purs
Le sable en ruisseaux blonds sur le pavement rouge

 
C'est un charme imprévu de leur dire " ma soeur "
Et de voir la pâleur de leur teint diaphane
Avec un pointillé de taches de rousseur
Comme un camélia d'un blanc mat qui se fane.

 
Rien d'impur n'a flétri leurs flancs immaculés,
Car la source de vie est enfermée en elles
Comme un vin rare et doux dans des vases scellés
Qui veulent, pour s'ouvrir, des lèvres éternelles !


Le Mont Sainte Odile en Alsace 

II.

Cependant quand le soir douloureux est défunt,
La cloche les appelle à complies
Comme si leur prière était le seul parfum
Qui pût consoler Dieu dans ses mélancolies !

 

Tout est doux, tout est calme au milieu de l'enclos ;
Aux offices du soir la cloche les exhorte,
Et chacune s'y rend, mains jointes, les yeux clos,
Avec des glissements de cygne dans l'eau morte.

 
Elles mettent un voile à longs plis : le secret
De leur âme s'épanche à la lueur des cierges,
Et quand passe un vieux prêtre en étole on croirait
Voir le Seigneur marcher dans un jardin de Vierges !

 
Et l'élan de l'extase est si contagieux,
Et le coeur à prier si bien se tranquillise,
Que plus d'une, pendant les soirs religieux,
L'été répète encore les " Ave de l'église ".

(La Jeunesse blanche)

 

59b.  La Petite Eglise  (Jean Lumière)

Je sais une église au fond d'un hameau
Dont le fin clocher se mire dans l'eau
Dans l'eau pure d'une rivière.
Et souvent, lassé, quand tombe la nuit,
J'y viens à pas lents bien loin de tous bruits
Faire une prière.
Des volubilis en cachent l'entrée.
Il faut dans les fleurs faire une trouée
Pour venir prier en lieu saint.
Un calme imposant en saisit tout l'être
Avec le printemps un parfum pénètre,
Muguet et jasmin.
Des oiseaux parfois bâtissent leur nid
Sur la croix de bronze où Jésus souffrit.
Le vieux curé les laisse faire.
Il dit que leur chant est l'hymne divin
Qui monte des cœurs en le clair matin
Vers Dieu notre Père.
La petite église est simple ! Un grand cierge
Brûle dans la nuit au pied de la Vierge
Comme une étoile au firmament
Et la Vierge qui voit la peine des enfants
Leur redonne confiance pour ne pas tomber
Sur les chemins de la vie…
Quand tu seras las du monde et du bruit
Vient donc à pas lent quand tombe la nuit
Pousse la grande porte, élève ton regard
Pourquoi ne pas faire du bien à ton âme,
Comme les oiseaux qui viennent faire leur nid          
Dans les bras du Bon Dieu.

  

60.  Les yeux du Maître

 

Il y a deux mille ans, dans l'ancienne Galilée
Un jeune homme s'est levé, il était charpentier !
Ses amis, ses voisins l'ont cru fou à lier
Quand il a déclaré : "Ce jour est arrivé" !

 
Ah ! Ce regard du Maître si doux et prévenant
Plein de compréhension, d'amour et d'attentions
Il guérit ceux qui souffrent, quelque soit leur nation,
Il réconforte les humbles et les insignifiants...

 
Rayons surnaturels qui plongent dans l'infini,
Force mystique secrète qui perce l'intimité,
Chaleur douce, apaisante où règne l'unité,
Richesse inépuisable pour tous les démunis...

 
Etaient-elles brunes ou bleues ces étonnantes prunelles,
Que tant d'êtres ont suivi, assoiffés de bonheur ?
Parce qu'il leur parlait d'un avenir meilleur
Dans une nouvelle vie : au Royaume éternel...

 
Ses miracles ont surpris toutes les assemblées,
Car partout où il passe il soigne les corps blessés,
Il cicatrise les âmes, pardonne les fautes passées,
Il est "le bon berger" qui veut tous rassembler.

 
Toi qui dirige les étoiles du grand Univers
Et qui vois de là-haut "notre petite misère",
Apporte ta lumière aux hommes qui espèrent
Pour qu'ils boivent un jour l'eau vive de ta rivière.

(Jean-Claude Brinette)

 

 61.  LA VIE ANTERIEURE  (Charles Baudelaire)

 

J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux
Rendaient pareils le soir, aux grottes basaltiques.

 
Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d'une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

 
C'est là que j'ai vécu des voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,

 
Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin était d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.

(les Fleurs du mal)

 

62.  La mort des amants - (Charles Baudelaire)

 

Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.

 
Consumant dans l'extrême nos chaleurs dernières
Nos deux coeurs brilleront comme deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières,
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

 
Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux ;

 
Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.

(les Fleurs du mal)

 

63.  Ombres chéries  - (Alphonse de Lamartine)

 

1.
Mon coeur à ta clarté s'enflamme,          
Je sens des transports inconnus
Je songe à ceux qui ne sont plus
Douce lumière, es-tu leur âme ?

 
2.
Peut-être ces mânes* heureux
Glissent dans le bocage
Enveloppé de leur image
Je crois me sentir plus près d'eux
 
3.
Ah! si c'est vous, ombres chéries!
Loin de la foule et loin du bruit,
Revenez ainsi chaque nuit
Vous mêler à mes rêveries.

 
4.
Ramenez la paix et l'amour
Au sein de mon âme épuisée,
Comme la nocturne rosée
Qui tombe après les feux du jour

 
5.
Venez ! Mais des vapeurs funèbres
Montent des bords de l'horizon
Elles voilent le doux rayon,
Et tout rentre dans les ténèbres

* Mânes = esprits des morts chez les romains

(Méditations poétiques)

 

Lever de brume sur un lac en Automne

 

64.  Etrangère au Paradis  -  (Charles Van Lerberghe 1861-1907)

  

1.
Du monde invisible et d'aurore
Où me guidaient mes anges pieux,
Qui viendra me rouvrir les yeux ?
Voici le jour. Je rêve encore.

 
2.
Le doux enchantement des airs
Qui passent sur les roseraies,
Dans mes prunelles azurées
Vient comme un aube au fond des mers.

 
3.
Heures et choses incertaines ;
Au loin, dans des bosquets de fleurs,         
Me chantent mes divines soeurs,
Et j'écoute leurs voix lointaines.
4.
Je tremble et de joie et d'effroi.
Nue, en ma chevelure blonde
J'attends que le soleil m'inonde,
Et qu'une ombre tombe de moi.

(Entrevisions)

 

65.   L ' â m e   -  (Jules Supervielle 1884-1960)

 

Puisqu'elle tient parfois dans le bruit de la mer
Ou passe librement par le trou d'une aiguille
Aussi bien qu'elle couvre une haute montagne
             Avec son tissu clair,
 
Puisqu'elle chante ainsi que le garçon, la fille,
Et qu'elle brille au loin aussi bien que tout près,
Tantôt bougie ou bien étoile qui grésille
             Toujours sans faire exprès,
 
Puisqu'elle va de vous à moi, sans être vue,
Et fait en l'air son nid comme sur une plante,
Cherchons-la, sans bouger, dans cette nuit tremblante
Puisque le moindre bruit, tant qu'il dure, la tue.

(Les amis inconnus)

 

Du plus profond au plus haut

 
66.  Les profondeurs de l'âme  - (Georges Rodenbach 1855-1898)

 

Nous ne savons de notre âme que, ce que sait
De la mer un enfant , qui joue avec la vague !
Il suit au loin, dans la brume qui les élague,
Les vaisseaux que tantôt leur ombre devançait.

 
Nous ne savons de notre âme que la pointe de l'iceberg
Enormes blocs de glace nés dans la préhistoire
Dont la masse sournoise causa le désespoir
De ceux qui n'ont rien vu, du haut de la grande vergue !

 
Ah ! plonger dans la mer, savoir tout de l'abîme :
Les monstres, les coraux, tant de trésors sombrés !
Et les zones du fond, vertes comme des prés.
Ce qu'on voyait de la surface, est si minime !

 
Et plonger dans notre âme : elle est un gouffre aussi !
Pour voir les rêves nus, le combat des pensées,
Et les projets qui sont des perles nuancées,
Tout le Moi sous-marin dans le cerveau transi.

 
Pour le plongeur de l'âme, y a-t-il une cloche ?
Ah Oui ! Descendre au fond de son propre destin,
Savoir ce qui se passe en cette mer sans fin,
Et démêler tout ce varech qui s'effiloche !

 
Mais cette vie en profondeur nous l'ignorons,
Ne voyant de notre âme - que l'eau de la surface
Comme l'eau de mer qu'un enfant dans le sable transvase,
Croyant vider la mer... de ses petites mains rondes !

(Les vies encloses)

 

66b.   Dans la poussière d'étoiles   (nouveau)

 

Les poètes sont des bouts d'étoiles tombés sur terre
Qui réchauffent les cœurs des hommes solitaires
Silencieux ils s'assoient pour écouter la mer
Et rapportent aux hommes un peu de leur lumière.
 
Etranges inconnus qui rêvent de liberté
Avec les pieds sur terre, la tête dans les étoiles
Toujours à la recherche de cette rareté
Que dessinent leurs pinceaux la nuit sur une toile.
 
Ils laissent derrière eux des trésors de pensées
Qui servent un soir à calmer des blessures.
Une raison de vivre pour petites âmes blessées
Qui leur font oublier quelques années très dures.
 
Dans le train de la vie ils croisent par hasard
Des yeux si profonds d'où s'échappe une larme
Un regard de tendresse et le sourire repart.
 
Nous courrons tous ensemble dans un monde de folie
Prendre le temps d'aimer pour ne pas perdre son âme
Protéger la vie et notre Terre si jolie.

Jean-Claude Brinette

 

 
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