POEMES SUR LA GUERRE ET LES SOLDATS
110. L'épouse du Croisé
(Maurice Maeterlinck
1862-1949)
1. Et s'il revenait un jour Que faut-il lui dire ? - Dites lui qu'on l'attendit Jusqu'à en mourir ! |
2. Et s'il m'interroge encore Sans me reconnaître ? - Parlez-lui comme une soeur Il souffre peut-être |
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3. Et s'il demande où vous êtes Que faut-il lui répondre ? - Donnez-lui mon anneau d'or Sans rien lui répondre |
4. Et s'il veut savoir pourquoi La salle est déserte ? Montrez-lui la lampe éteinte Et la porte ouverte... |
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(Douze chansons)
111. Après la bataille (Victor Hugo)
Mon père, ce héros au sourire
si doux, Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille, Parcourait à cheval, le soir d'une bataille, |
Les champs couverts de morts sur qui tombait
la nuit. Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit, C'était un espagnol de l'armée en déroute Qui se traînait sanglant sur le bord de la route, |
Râlant, brisé, livide et mort plus
qu'à moitié, Et qui disait : A boire, à boire par pitié ! Mon père ému, tendit à son housard fidèle Une gourde de rhum qui pendait à sa selle, |
Et dit : Tiens donne à boire à
ce pauvre blessé Tout à coup, au moment où le housard baissé Se penchait vers lui, l'homme une espèce de Maure, Saisit un pistolet qu'il étreignait encore, |
Et vise au front mon père en criant "
Caramba " ! Le coup passa si près que le chapeau tomba Et que le cheval fit un écart en arrière, - Donne-lui quand même à boire, dit mon père. |
(La légende des siècles)
112. Le dormeur du Val - (Arthur Rimbaud 1854-1891)
C'est un trou de verdure où chante une
rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent ; où le soleil de la montagne fière, Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. |
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête
nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. |
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant
comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid. |
Les parfums ne font pas frissonner sa narine
; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. |
(Poésies souvenirs)
113. L'hirondelle et le prisonnier - (Jean de Béranger 1780-1857)
1. Captif au rivage du Maure Un guerrier, courbé sous ses fers, Disait : Je vous revois encore, Oiseaux qui fuyez les hivers. |
2. L'une d'entre vous est peut-être née Au toit où j'ai reçu le jour ? Là, où ma mère infortunée, Chaque jour se lamente d'amour. |
3. Mourante, elle croit à toute heure Entendre le bruit de mes pas ; Elle écoute et puis elle pleure De son amour ne me parlez-vous pas ? |
4. Ma soeur est-elle mariée ? Avez-vous vu de nos garçons La foule aux noces conviée, La célébrer de nos chansons ? |
5. Et mes compagnons de batailles Qui m'ont suivi dans les combats, Sont-ils revenus au bercail ? De tant d'amis, ne me parlez-vous pas ? |
6. Pour moi plus de mère qui prie, Et partout des fers ici-bas Hirondelles de ma patrie, De ses malheurs ne me parlez-vous pas ? |
Avant la première guerre mondiale
114. Le cauchemar des deux mères... (Eugène Manuel 1823-1902)
1 J'ai vu, dans un rêve attristé, Deux chaumières presque pareilles, Et deux voix dans l'obscurité, Plaintives, qui frappaient mes oreilles. |
2. Chaque maison était cachée Dans un de ces vallons prospère D'où la guerre avait arraché Bien des enfants et bien des pères ... |
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3. La neige posait lentement Ses flocons sur les branches mortes ; La bise au long gémissement Pleurait par les fentes des portes. |
4. Les deux foyers se ressemblaient, Et devant le feu des broussailles, Deux mères, dont les doigts tremblaient Songeaient aux lointaines batailles. |
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5. Leur esprit voyageait là-bas : Point de lettre qui les rassure ! Quand les enfants sont au combat ! Pour les mères tout est blessure ! |
6. L'une comme l'autre invoquaient le ciel Priant dans sa langue ou la nôtre : " Mein Kind ! mein Kind " O vie cruelle ! " Mon fils ! Mon fils " murmurait l'autre. |
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7. Et j'entendais, au même instant, Sur un affreux champ de carnage, Contre la souffrance luttant, Gémir deux enfants du même âge |
8. Les deux soldats se ressemblaient, Mourant quand il fait bon vivre ; Et leurs pauvres membres tremblaient, Bleuis par la bise et le givre. |
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9. Ils s'éteignaient dans un ravin, En proie aux angoisses dernières ; Leurs yeux de loin suivaient de loin en vain La longue file des civières. |
10. Etrange réveil du passé, Qui précède l'adieu suprême, Evoquant pour chaque blessé La vision de ce qu'il aime ; |
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11. Et ces deux âmes, à l'heure sacrée Où la mort, en passant, vous touche Jetaient l'appel désespéré ! Que les petits ont à la bouche |
12. Les yeux remplis de souvenirs Une main sur la plaie grande ouverte Comme s'ils sentaient le froid venir Dans la grande plaine déserte : |
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(Poésie II, Pendant la Guerre)
115. L'immolation des templiers (François J.-M. Raynouard 1761-1836)
Un immense bûcher, dressé pour
leur supplice, S'élève en échafaud, et chaque chevalier Croit mériter l'honneur d'y monter le premier. |
Mais leur Grand Maître arrive ; il monte,
il les devance ; Son front est rayonnant de gloire et d'espérance. Il lève vers les cieux un regard assuré, Il prie et l'ont croit voir un mortel inspiré. |
D'une voix formidable aussitôt il
s'écrie : - Nul de nous n'a trahi son Dieu, ni sa patrie, Français, souvenez-vous de nos derniers moments, Nous sommes innocents, nous mourons innocents ! |
L'arrêt qui nous condamne est un arrêt
injuste, Mais il est dans le ciel un tribunal auguste Que le faible opprimé, jamais n'implore en vain, Et j'ose t'y citer, ô Pontife romain ! Encore quarante jours... je t'y vois comparaître ! " Chacun en frémissant, écoutait le Grand Maître. |
Mais quel étonnement, quel trouble, quel
effroi, Quand il dit - " O Philippe, ô mon maître, ô mon roi, Je te pardonne en vain ta vie est condamnée : Au tribunal de Dieu, je t'attends dans l'année ! " |
Les bourreaux interdits n'osent plus s'approcher
; Ils jettent en tremblant le feu sur le bûcher, Et détournent la tête... Une fumée épaisse Entoure le bûcher, roule et grossit sans cesse. |
Tout à coup le feu brille à l'aspect
du trépas, Ces braves chevaliers ne se démentent pas. On ne les voyait plus, mais leurs voix héroïques Chantaient de l'Eternel les sublimes cantiques. |
Plus la flamme montait, plus ce concert pieux
S'élevait avec elle et montait vers les cieux. |
Votre envoyé parait, s'écrie...
Un peuple immense, Proclamant avec lui votre auguste clémence, Auprès de l'échafaud soudain s'est élancé ... Mais il n'était plus temps... Les chants avaient cessé. |
(Acte V - scène 8)
116. Waterloo - avant la bataille J. Cl. Brinette
C'est une histoire banale qui a déjà eu lieu des millions de fois
Des hommes qui jouent au soldat pour tuer un ennemi qu'il n'ont jamais vu !!
C'est un pays plein de verdure, avec quelques arbres parsemés de maisons isolées
Sur le terrain on aperçoit une foule de soldats debout en uniformes d'époque.
Certains sont très jeunes, d'autres sont plus âgés avec une barbe imposante
Tous tiennent en mains un fusil et attendent on ne sait pas quoi ?
Soudain arrive au galop un homme casqué sur un cheval
Il crie d'une voix haute " l'ennemi est en face, c'est pour demain matin "
Montez le campement pour la nuit et faites boire les hommes et les bêtes
Une ration de pain et une timbale de tambouille pour chacun.
Le soleil s'enfonçait dans la ligne d'horizon, il était tout rouge ce soir
Sinistre présage pour ceux qui ne croyaient pas tellement en la victoire !
Un jeune homme de 16 ans est assis à côté d'un homme âgé aux cheveux gris
Le vieil homme n'a pas faim et il a déjà participé à de nombreuses batailles,
Mais le temps a toujours guéri ses blessures et pour une maigre solde
Il pense qu'il a eu de la chance de s'en sortir et espère comme par le passé
Que son étoile le protégera et que ce sera (peut-être) la dernière bataille
Il regarde la maison sur le flanc du vallon, elle ressemble à la sienne
Mais il est seul et il sait que la sienne n'a plus de feu, ni de lumière
- Eh petit regarde tu vois cette maison, j'en avais une pareille
Avec une femme, des bêtes plein la basse-cour et des champs remplis de blés
Mais un matin ils sont venus, ils ont tout brûlé , violé et tué ma fille et ma femme
Puis après avoir pris tout ce qu'ils pouvaient emporter, ils y ont mis le feu
Un long silence et quelques larmes coulèrent sur les joues de l'homme
Quand je suis rentré des champs il n'y avait plus de maison, ni de famille
Depuis je me suis enrôlé pour me faire justice, mais ceux qui nous gouvernent
Ont changé d'adversaires, ils sont devenus nos alliés et on a un nouvel ennemi
Regarde ces cicatrices, on dirait une carte avec des fleuves à la gloire de l'empereur
On a marché des milliers de kilomètres , traîné des canons dans la boue et la glace
Tiré des chariots rempli de blessés et ruisselants de sang et de lambeaux
Mais ce n'est pas fini, l'Aigle est insatiable et voudrait posséder toute l'Europe
Mais l'Europe le dévorera sinon personne n'arrêtera cette folie jusqu'à ce que tout soit accompli,
nous, nous sommes les ombres survivantes du passé, mes amis
les plus vieux compagnons sont morts en Espagne, mais toi mon ami que fais-tu ici ?
Le jeune homme lève les yeux au ciel,
- OUI ils sont venus et au nom de l'empereur ils ont enrôlés de force tous les jeunes de mon âge,
ma mère était folle de chagrin, mais ils ont continué, ils les ont tous trouvé :
- on m'a enrôlé pour quelques pièces, on a pris nos chevaux et nos poules
ma mère est seule et pleure après mon père qui n'est pas revenu de Russie.
Tu vois je n'ai pas plus de chances que toi, passe moi ta gourde d'eau de vie
- Tu perds pas le nord moussaillon, mais je crois que tu en as autant besoin que moi
Tiens prends aussi ma ration de viande, je n'en mange plus depuis longtemps.
La nuit venait de tomber et au loin on entendait des bruits de métal et de tambours mêlés aux galops des
chevaux qui prenaient position sur la colline voisine. La lune montait dans ce beau ciel de juin,
elle était comme une dame blanche qui voulait revoir ses enfants une dernière fois.
Les hommes s'étaient rassemblés autour des feux de camps qui illuminaient la campagne
Et les chevaux mangeaient leur sac d'avoine à côté des canons
Le vieil homme s'enroula dans son sac de voyage et le jeune homme vint se coucher près de lui deux heures plus tard.
Le grognard ne dormait pas, il avait les yeux grands ouverts et son esprit voyageait sur les anciens champs de bataille,
il revoyait ses camarades et leur fin misérable, il revoyait les ruisseaux de sang, les bêtes agonisantes que personne
n'avait le courage d'abattre, les morts et les blessés entremêlés l'un sur l'autre quelque soit leur uniforme
- Dis petit si jamais il m'arrivait une bricole demain - là dans ma musette il y une poignée de pièces d'or
autrichienne que je traîne de ville en ville dans l'espoir de rentrer un jour au pays. Si je tombe tu les prendras,
ce sera comme un cadeau de mariage qui t'aidera à faire un bout de chemin avec une femme de ton âge.
Je crois bien que c'est la dernière bataille de l'Aigle - Je ferais mon possible pour te protéger alors
reste près de moi quand les boulets voleront et qu'ils arriveront avec leurs milliers de fusils et de baïonnettes.
Plus tard tu feras une prière de temps en temps pour moi quand je serais arrivé là-haut, d'ailleurs j'espère
que St Pierre m'ouvrira sa porte et me trouvera un coin pour reposer ma tête, qui sait si là-haut il n'y a pas de bon lit
avec des bons draps et des anges pour soulager les blessures du cur ?
Une vie çà ne tiens pas à grand chose, elle ne tiens souvent qu'à quelques centimètres, un pas ou une seconde
Une vie çà passe aussi rapidement qu'une étoile filante - çà brille et çà disparaît
Il y a 20 ans de cela la France était devenu un pays où régnait la Terreur
La folie avait envahi la raison et le cur des hommes
Si tu avais vu les gens les plus riches croupir dans des prisons
Des gens à qui on ne pouvait même pas parler avec un chapeau sur la tête :
Des barons en fine chemise, des princes, des députés, des moines, des surs,
Des évêques et des prêtres qui refusaient la nouvelle religion de la nature,
Tous ont été traînés au travers des villes sur des charrettes jusqu'à l'échafaud !
Que de sang versé pour rien ! mais les nobles sont vite revenus de l'étranger
Pour reprendre leur château, leurs terres et leur privilèges
Avec l'Empereur nous avons eu quelques victoires, mais aussi de grands désastres
Des champs de batailles couverts de morts et en Espagne nos plus vieux soldats ont été assassinés
froidement dans le dos ou ils sont morts dans des embuscades maudites.
Je ne te parle pas de la campagne de Russie, d'une retraite où nos morts ont été enterrés
dans la glace et du retour de milliers de blessés survivants amputés, agonisants sur des chariots
dans des trajets qui ont durés plusieurs mois !
Non je ne veux pas t'enlever ton courage car demain tu auras besoin de toutes tes forces,
la guerre n'est pas un jeu, mais une boucherie géante avec des canons, des fusils qui font tomber des hommes
par milliers sur chaque champ de bataille .
Nous sommes sur terre pour souffrir, c'est la volonté des hommes qui nous commandent,
mais pour gagner le ciel comme disait le curé qui m'a baptisé :
Ce n'est pas ceux qui disent ; Seigneur- Seigneur qui iront au ciel
Mais tous ceux qui ont un cur charitable et qui ont fait la volonté du Bon Dieu
Dors maintenant ou essaie de dormir ! Je suis prêt de toi, je veille s'il y a une alerte,
Tu aurais pu être mon gendre si les temps n'avaient pas été aussi cruels
Ma fille avait ton âge et je l'aimais tendrement.
Waterloo - après la bataille
Le bruit des canons s'était arrêté ; un spectacle désolant recouvrait la plaine,
Le vent emportait les odeurs de bêtes mortes et de cadavres déchiquetés.
Soudain au cur du combat le jeune homme reçu la pointe d'une baïonnette dans son épaule droite,
il tomba en un bloc et un flot de sang inonda sa poitrine.
Le vieil homme avait constaté la blessure de son compagnon blessé à l'épaule et comme celui-ci perdait
beaucoup de sang, il avait mis son mouchoir de toile dans la plaie. Penché à genoux devant le corps évanoui,
soudain une balle perdue venue d'en face le frappa également en pleine tête et l'emporta dans l'autre monde.
Son corps tomba sans vie sur celui du jeune homme.
De nombreux soldats ennemis passèrent , mais ils ne remarquèrent même pas que le jeune homme
avait seulement perdu connaissance mais que son cur battait encore.
Au bout d'une heure il se réveilla et comme il ne pouvait soulever le corps du vieil
homme mort, il prit sa sacoche et la serra entre ses deux bras. Des infirmiers courraient
avec des brancards et ils vidaient les blessés dans les chariots qui devaient les conduire
à l'hôpital de campagne. Soudain l'un d'eux entendit les gémissements du jeune homme
qui appelait à l'aide. Deux soldats s'approchèrent et dégagèrent le corps du vieil homme mort
couché sur le blessé et emportèrent celui qui vivait encore sous la tente du chirurgien de campagne.
En cours de route les brancardiers lui dirent en rigolant :
- Dis donc ton copain t'a probablement sauvé la vie, tu lui dois une fière chandelle.
Avec le temps le jeune homme finit par guérir, à part que sa main droite resta
longtemps un peu plus raide que la gauche. Il était alsacien et il se maria au printemps
dans un petit village entouré de sapins, et de ruches d'abeilles, c'était au temps
des lilas et son cur avait conquis une charmante jeune fille de son âge qui lui donna de
beaux enfants. La paix était revenue pour cinquante ans au moins
La Providence en a décidé ainsi, mais souvent lorsque passe une belle étoile filante
dans le ciel dégagé de l'été, il repense à son ami qui lui a fait le plus cadeau du
monde : celui de vivre sa jeunesse et de traverser la tempête d'une sale époque où
beaucoup ne sont hélas " jamais revenus.. "